Sénégal : de l’urgence d’équiper les services forestiers et de réformer notre politique environnementale 

Dr Mohamed Lamine Manga Historien-politologue-environnementaliste, Université Assane Seck de Ziguinchor (UASZ)

Moustapha SY
By Moustapha SY
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Agents Eaux & Forets

La vérité ne fait que rougir les yeux, mais elle ne les crève point ! Ma prise de plume est motivée par un constat, une préoccupation, une prise de conscience, mais surtout une inquiétude face à de nombreux périls qui menacent l’équilibre de la biodiversité et des écosystèmes à travers tout le pays. Ceci pour dire que la politique environnementale au Sénégal s’est considérablement détériorée au fil du temps et la situation est alarmante.

S’il faut admettre que, sous le magistère du Président Senghor, elle fut préventive de certains déséquilibres occasionnés par l’action anthropique, de Diouf à Macky Sall, en passant par Wade, elle fut davantage folklorique et dénouée d’ambitions véritables. Le Président Senghor était surtout soucieux de la préservation des ressources forestières et s’était appuyé sur le Code forestier hérité du système colonial pour mettre en œuvre des programmes efficients de production de nouvelles forêts, notamment avec l’appui de la coopération canadienne. De nombreux espaces boisés furent classés et protégés par des agents forestiers équipés, de surcroit motivés et dévoués au sacerdoce. Par ailleurs, il y eut une politique de création de réserves animalières et de parcs en plus de la sensibilisation et de l’implication des populations rurales dans la réalisation des pare-feux à l’entame de la saison sèche.

Sous Diouf, le défi a surtout consisté à préserver le legs du Président sortant. Mais avec le boom démographique, l’accélération de l’urbanisation et l’aggravation de la pauvreté, les questions environnementales ne furent pas une priorité et l’insuffisance des moyens alloués aux agences régionales des Eaux et forêts et chasse ne pouvait enrayer l’action des braconniers et le trafic illicite de bois. Le régime socialiste, avec les effets de la sècheresse et la pauvreté ambiante, a aussi encouragé l’ouverture de fronts pionniers et l’extension du Bassin arachidier originel vers le Centre-Sud du pays avec comme corolaire de nouveaux défrichements.

De 2000 à nos jours, en dehors de l’arraisonnement de navires pirates qui pêchaient illégalement dans nos eaux et de l’érection d’aires marines protégées, il faut surtout regretter et souligner l’absence d’une véritable politique de gestion rationnelle et durable de l’environnement.  Nous assistons à un semblant de laisser-aller, avec des coupes de bois abusives, une déforestation et une désertification galopantes, une surpêche, une forte évapotranspiration des eaux de surfaces augmentant le risque de sècheresses cycliques, la baisse et la pollution des nappes phréatiques, l’érosion côtière, l’acidification de l’atmosphère, notamment à Dakar. Par ailleurs, nous constatons la disparition progressive, mais surtout irréversible des pâturages dans le Centre et le Nord du pays, ce qui impacte sur le bétail et les modes de vie des communautés agropastorales… Voilà, chers compatriotes, la réalité de la politique environnementale actuelle de notre pays : elle est juste obsolète et régressive.

Toutefois, derrière cette désolation, je souhaite mener un plaidoyer pour une réforme de notre politique environnementale. Entre autres mesures qui me semblent urgentes et impératives : la réforme totale du Code forestier, une criminalisation et une forte pénalisation du braconnage et des coupes de bois non autorisées, le déminage du parc de Basse Casamance, le repeuplement de nos parcs nationaux en espèces en voie de disparition (éléphants, léopards, gnous, buffles…) – en envisageant une véritable politique écotouristique-, l’équipement des agents forestiers en armements et en moyens de surveillance sophistiqués. Il faudra aussi œuvrer à la production de nouvelles forêts et leur conférer un caractère communautaire avec la possibilité, pour l’État ou les collectivités locales, d’y prélever des taxes afin d’établir une industrie forestière, la création de jardins botaniques lucratifs dans toutes les villes… En outre, il faudra songer à une multiplication des aires marines protégées, le repos biologique de certaines espèces menacées d’extinction, surtout celles aquatiques, et prioritairement, l’inscription de la semaine de l’environnement et du civisme dans le calendrier scolaire afin que les plus jeunes puissent s’approprier ces idées et permettre au Gouvernement de jeter ainsi les bases d’une véritable politique de développement durable.  En réalité, rien n’est encore perdu, mais il urge d’agir et de réformer toute notre politique environnementale.

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